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02/10/2025

Animaux et entreprises : penser « relations » plutôt « qu’ingrédients »

Penser la relation avec les animaux, c’est penser à ce qui est légitime de prendre ou de donner. C’est décider ce à quoi nous voulons consentir ou renoncer. C’est questionner les logiques de domination qui façonnent nos sociétés.

Loin d’être anecdotique ou réservée aux personnes “sensibles aux animaux”, la question animale concerne tous les agents économiques, au premier rang desquels les entreprises. Ces entreprises où nous travaillons et auprès de qui nous achetons nos biens et nos services et qui nourrissent avec les animaux des liens de dépendance insoupçonnés.

Comment faire pour passer de l’animal « ressources, ingrédient, matière première » à l’animal « partie prenante » ? Spoiler alert : tout (ou presque) commence par le récit. 

Nous sommes à l’ère du Symbiocène. Le bien-être animal a été une étape, sans devenir une finalité. Les entreprises entretiennent désormais avec les animaux un rapport de bienveillance, de solidarité et de coopération. Elles développent une relation de mutualité, entreprennent des chantiers de restauration des écosystèmes-habitats et prennent soin des animaux en prenant en compte leur valeur intrinsèque.

Prospective.

Relations entre les animaux et entreprises à l’anthropocène

Nous avons commencé par cartographier les animaux sous l’angle des relations qu’ils entretiennent aujourd’hui avec les entreprises. Nous en dressons ici 9 catégories pour mieux imaginer comment elles pourraient évoluer.

Les producteurs : les animaux sont un actif comptable au bilan de l’entreprise. Ils sont utilisés pour la production qu’ils génèrent directement par les parties de leur corps (peau, poils, chair…), leurs sécrétions (lait, excréments…), ainsi que pour la reproduction. On trouve dans cette catégorie les animaux liés à l’activité d’élevage. Leur mise à mort prématurée est nécessaire car ce dernier profit entre dans le calcul global de rentabilité.

Les exploités : ces animaux peuvent être un actif comptable. Ils sont utilisés pour les services qu’ils rendent à l’entreprise (spectacles impliquant des animaux, parcs animaliers, courses hippiques, animaux reproducteurs, médiation animale, chien de sécurité…). Ils ont plus de valeur vivants que morts, tant qu’ils sont en mesure d’accomplir la tâche qui leur est demandée. La relation avec les humains est souvent forte, et peut même être au centre de l’exploitation.

Les convoités : ce sont les animaux sauvages, qui ont une valeur économique en tant que fournisseurs de matière première. La peau des pythons sauvages d’Asie du Sud-Est fait par exemple l’objet d’un commerce légal pour fournir l’industrie du luxe. Ce commerce est estimé à environ un milliard de dollars par an.

Les invisibles : ces animaux n’ont pas de valeur marchande pour l’entreprise mais ils lui rendent pourtant des services précis et indispensables. On pense par exemple aux animaux nécessaires au bon fonctionnement des écosystèmes et profitant à l’agriculture (abeilles et autres pollinisateurs, vers de terre, oiseaux,…). La relation avec les activités humaines n’est pas directe et souvent non conscientisée.

Les impactés : ce sont les animaux impactés par l’activité humaine (dégradation de leurs habitats, changement climatique, exploitation forestière, pollution des milieux, emprise des terres….). Ces animaux, la plupart du temps sauvages, n’ont pas de valeur marchande et leur coût sur l’entreprise est nul. La relation avec les activités humaines n’est pas directe et souvent non conscientisée.

Les indésirables : ces animaux sont une source de coût pour l’entreprise. Ils peuvent créer des nuisances et impacter négativement les profits. Par exemple : les sangliers qui dégradent un terrain de golf, les termites dans les bois de construction, les insectes ravageurs pour l’agriculture, les chevreuils qui mangent les jeunes pousses des arbres. La relation n’est pas souhaitée avec eux.

Les destinataires : ce sont les animaux qui bénéficient directement des produits et services de l’entreprise et dont l’existence lui permet de faire des profits. On pense au secteur du petcare / petfood. Ces animaux et la relation qu’ils entretiennent avec les humains sont visibilisés par le marketing.

Les aidés : ce sont les animaux pris en charge par la collectivité ou par des associations au travers des refuges, sanctuaires, fourrières, et cliniques de faune sauvage par exemple. La relation avec les entreprises existe si celles-ci financent leur prise en charge au travers de leur politique de mécénat.

Les contraignants : ce sont les animaux sauvages qui, par leur statut juridique spécifique, doivent être pris en compte légalement par l’entreprise. Ce sont par exemple les individus appartenant aux espèces en danger d’extinction ou en fort déclin. En France par exemple, les études d’impact imposent aux promoteurs immobiliers de réaliser des inventaires de biodiversité avant de démarrer une construction. En cas de présence d’une espèce protégée, des mesures de protection et/ou de compensation doivent être réalisées.

Nouvelles relations entre animaux et entreprises au Symbiocène

A présent, faisons un bond dans le futur. Reprenons les catégories définies à l’anthropocène, et voyons comment elles pourraient évoluer.

Les parties prenantes sont définies par la norme ISO 26000 comme des individus ou groupes ayant un intérêt dans les décisions ou activités d’une organisation. Ainsi, l’entreprise du Symbiocène considère les animaux comme des parties prenantes. Cela suppose dans un premier temps de reconnaître leurs intérêts et dans un deuxième temps, d’identifier les responsabilités vis-à-vis d’eux, et les redevabilités. 

Nous avons élaboré ici une cartographie inédite des parties prenantes animales en prenant soin de leur attribuer des termes agentifs, témoignant d’une personnalité active. Cette ontologie, en plus d’être déréifiante, modifie les rapports de forces basés sur le conflit d’intérêt en favorisant la relation sous l’angle des intérêts communs.

Les animaux producteurs deviennent des fournisseurs.
Les animaux exploités deviennent des collaborateurs
Les animaux invisibles deviennent des contributeurs.
Les animaux impactés deviennent des sentinelles.
Les animaux indésirables deviennent des riverains.
Les animaux destinataires deviennent des clients.
Les animaux aidés deviennent des bénéficiaires.
Les animaux contraignants deviennent des protégés.
Les animaux convoités n’existent plus au symbiocène.

Décrivons à présent ce que pourraient être les relations et les nouveaux contrats de l’entreprise avec ces grandes familles de parties prenantes. 

L’entreprise et les animaux partenaires (fournisseurs et collaborateurs)

Au Symbiocène, la collaboration entre l’entreprise et les animaux partenaires se construit autour de 5 grands domaines, qui font écho aux domaines des ressources humaines (que nous appelons les richesses humaines, étant également opposées à la réification des travailleurs humains) : 

ÉTHIQUE : il s’agit de définir ici (sous forme de charte éthique par exemple) ce que l’entreprise s’interdit de faire au nom des droits fondamentaux des animaux. Ainsi, l’entreprise s’interdit la mise à mort des animaux, les pratiques génératrices de souffrance et le recours à la maltraitance génétique (sélection d’espèces génétiquement modifiées induisant des maladies et des souffrances chroniques).

JURIDIQUE : il s’agit des aspects régissant le rapport entre les animaux et l’entreprise. Il comprend la charte de travail (reprenant des aspects du contrat de travail humain) définissant les conditions de travail, le droit au repos, les modalités de rétribution, le droit à la retraite

QUALITÉ DE VIE : il s’agit de l’équivalent de la fonction qualité de vie au travail dans la société humaine. Là encore, elle peut prendre la forme d’un nouveau document cadre dans l’entreprise, annexée à la charte de travail. Elle régit l’ensemble des règles dédiées à la qualité de vie des animaux, ainsi que les modalités de contrôle (réguliers). Le vétérinaire ou l’éthologue devient une nouvelle fonction dans l’entreprise, internalisée.

COMMUNICATION : tout comme dans une entreprise humaine, la qualité de la communication doit être assurée au quotidien avec les animaux. L’entreprise se dote d’un pôle d’expert·es afin de veiller à la bonne qualité de ce dialogue. Qu’ils soient comportementalistes, éthologues ou vétérinaires, l’entreprise doit avoir sur site en permanence une personne référente en la matière ou du personnel formé afin de s’assurer notamment du consentement des animaux à coopérer.

REPRÉSENTATION DES INTÉRÊTS : tout comme les syndicats humains, la représentation des intérêts des animaux est requise. Une personne référente doit s’assurer que l’ensemble des règles et des chartes sont bien appliquées. Elle doit faire valoir les intérêts des animaux lors de réunions importantes et des négociations entre l’entreprise et le personnel. Un·e représentant·e au sein de la gouvernance est incontournable (voir notre post à ce sujet).

L’entreprise et les animaux liminaires (riverains)

Les animaux riverains sont ceux qui partagent le territoire avec l’entreprise sur les terrains et les terres dont elle est propriétaire ou locataire. Les enjeux peuvent être de différentes natures : compétition alimentaire, dégradation des infrastructures, nuisances sonores, lumineuses, olfactives, transmission de zoonoses, prédation des “animaux partenaires”, ravages agricoles, occupation de territoire…

À l’anthropocène, les réponses sont particulièrement brutales envers ces animaux dits nuisibles ou « susceptibles d’occasionner des dégâts » : trappage, éradication, empoisonnement, gazage, effarouchement et expropriation. L’entreprise du Symbiocène a définitivement arrêté ces méthodes cruelles. Elle a développé des politiques d’accueil spécifiques pour les animaux de son territoire comme des installations pour oiseaux migrateurs ou les oiseaux nicheurs, des zones à insectes, etc .

En cas de cohabitation impossible, l’entreprise a développé des politiques de relogement et de compensation pour les animaux expulsés. Elle utilise des méthodes non létales et sans douleur comme la stérilisation, l’effarouchement sonore, la délimitation, les dispositifs répulsifs non blessants etc.  Elle sensibilise ses équipes pour augmenter l’acceptabilité de la présence de ces animaux riverains, lorsque cela est possible.

L’entreprise et les animaux sauvages (protégés, contributeurs, sentinelles)

Cette catégorie est particulièrement homogène car il s’agit des animaux vivants en dehors des territoires de l’entreprise, loin de sa vue et de ses bureaux. La gestion de ces trois catégories peut donc être regroupée sous une même politique de “préservation, protection et sauvegarde des animaux sauvages”. 

Il s’agit pour l’entreprise de veiller à ce que les conditions de vie des populations animales dont elle dépend et sur lesquelles elle a un impact soient bonnes et durables. 

L’entreprise du Symbiocène réalise donc annuellement et proactivement des diagnostics écologiques (inventaires, analyse de la dynamique des populations, préconisations) sur l’ensemble de ses territoires de production en évitant le dérangement. Des méthodes comme la bioacoustique permettent de suivre en temps réel et sur du temps long l’évolution de certaines populations animales, sans avoir besoin de se déplacer.

Ces diagnostics permettent à l’entreprise de suivre l’évolution des populations présentes. L’entreprise s’assure que tous ses fournisseurs humains appliquent la même politique en réalisant chez eux, au moins une fois par an, des contrôles de terrain.  

En fonction des résultats de ces diagnostics, l’entreprise adapte son activité (gestion des coupes des forêts, changements de parcelles, mises en jachère, réduction de sa production…) et met en place des mesures compensatoires et des programmes de préservation ou de sauvegarde spécifiques en lien avec des associations de terrain. L’entreprise évite bien entendu les actions qui ne respectent pas les droits fondamentaux des animaux, comme les programmes de réintroduction ou les déplacements forcés de populations animales.

Notons que les sociétés d’insectes doivent faire l’objet d’une attention particulière, au titre de leur rôle de sentinelles de l’environnement et à la base de la chaîne trophique.

Afin d’évaluer l’efficacité de ces politiques, des mesures d’impact sont développées par l’entreprise avec l’aide de cabinets d’ingénierie écologique.

L’entreprise et les compagnons (bénéficiaires et clients)

L’entreprise du Symbiocène est altruiste et se soucie des animaux seuls, perdus et abandonnés. Elle met en place des actions de sensibilisation du personnel et des campagnes d’incitation à l’adoption (congé “spécial adoption”, congé en cas d’animal malade, facilité pour l’accueil des animaux dans les bureaux, prime à l’adoption…). Voir notre billet à ce sujet.

Elle peut aussi aider la collectivité et les associations de son territoire à faire face à l’afflux d’animaux dans les refuges. Pour cela, elle participe au financement de ces structures d’accueil temporaires ou permanentes via des dons. Elle peut organiser des opérations de mécénat de compétences afin de faire profiter aux animaux du temps de ses salariés. 

Au Symbiocène, les animaux qui profitent des services et des produits créés par l’entreprise deviennent des clients. En conséquence, l’entreprise est à leur écoute et développe une démarche poussée pour comprendre leurs besoins en finançant des programmes de recherche indépendants sur le comportement et la santé animale. Ce faisant, elle participe à la recherche et à la connaissance éthologique. L’expérimentation et les tests sur les animaux sont de l’histoire ancienne.

……

Voilà pour le tour d’horizon de l’entreprise de demain qui placera le bien-être et la considération des animaux au cœur de ses décisions de la même façon que l’entreprise régénératrice place la régénération au cœur de son activité. Un objectif hautement désirable dans une société en pleine crise de sens…

Bienvenue dans la zooéconomie du Symbiocène.


Crédits photos : Unsplash

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