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04/06/2025

L’inclusivité des animaux « de compagnie », un (atout) impensé dans l’entreprise ?

Les animaux qui partagent nos vies, en particulier ici les chats et les chiens, sont soumis à de nombreuses contraintes. Parmi elles, nos contraintes professionnelles. Le temps que nous passons à travailler, ils le passent à nous attendre.

Celleux qui ont la chance de partager leur vie avec un ou plusieurs animaux le savent bien : il n’est ni naturel ni évident de se sentir légitimes à prioriser un chat malade à la gestion super urgente du dossier Trucmuche. Et pourtant, la responsabilité d’un animal engage beaucoup en termes d’organisation, surtout pour les femmes qui endossent plus naturellement la prise en charge de leurs soins.

Anne-Laure et moi avons en tout cas cette expérience : nous avons accueilli de nombreuses fois des animaux qui ont eu besoin, ponctuellement ou dans la durée, d’un accompagnement soutenu. Et cette responsabilité a toujours orienté nos choix professionnels et le besoin de flexibilité de nos agendas. Au sein de l’Agence Symbiocène, nous avons également posé comme pacte invisible que la priorité serait toujours donnée aux personnes qui ont besoin de nous, humaines ou non.

Si nous avons bien conscience que de nombreux progrès restent encore à faire pour déjà concilier le monde du travail et la vie familiale « humaine », nous pensons qu’il n’y a pas de raisons d’exclure la question animale de cette réflexion. 97% des français·es déclarent ressentir un attachement profond envers leur compagnon, allant jusqu’à le considérer comme un membre à part entière de leur famille pour 68% d’entre eux 1. Il n’y a pas les humains d’un côté, les animaux de l’autre, mais une réflexion conjointe à mener pour ne laisser personne de côté.

Nous vous proposons dans cet article quelques bonnes pratiques pour améliorer la zooinclusivité et le bien-être des humain·es dans vos entreprises. Ces pistes sont déjà populaires, notamment aux Etats-Unis. Nous pensons qu’elles constituent un vrai progrès pour les animaux et les humains qui s’en occupent et qu’elles peuvent être un vrai atout pour les entreprises qui sauront s’en saisir, à l’heure où elles se battent pour attirer les talents en soignant leur marque employeur.


Instaurer des congés pour s’occuper d’un animal (maladie, adoption) ou en cas de deuil de celui-ci

En 2017, une employée de l’université La Sapienza à Rome se retrouve face à un dilemme. Son chien doit être opéré. Elle demande à son employeur deux jours de congés qu’il lui refuse. Elle porte son cas devant les tribunaux et obtient gain de cause : deux jours de congé payés lui seront octroyés pour s’occuper de son chien malade, une première en Italie. Ce congé a été accordé au titre de “motif personnel grave ou familial” grâce au soutien juridique de l’association de protection animale LAV (Lega Anti Vivisezione). Ses avocats invoquent le Code pénal italien, qui prévoit jusqu’à un an de prison et 10 000 € d’amende pour quiconque abandonne un animal ou le laisse dans de graves souffrances. Le tribunal reconnait que les animaux de compagnie sont à tous égards des membres de la famille.

Et pour cause, pour 88% d’entre nous, perdre un animal est aussi difficile que perdre un proche 2. Des symptômes somatiques et psychologiques décrits dans plusieurs études peuvent être observés à la suite du deuil d’un animal : fatigue, désespoir, retrait social, dépression ou encore solitude. Cette intensité émotionnelle nous semble justifier l’octroi d’un congé spécifique, palliant ainsi au manque de reconnaissance du chagrin par les structures sociales, une lacune reconnue par les études en sociologie du deuil animal.

Ainsi, des congés patte-ernité ou pawternity ont vu le jour ces dernières années, surtout dans les pays anglo-saxons, pour accompagner l’arrivée ou la perte d’un animal. S’ils émanent plus naturellement des entreprises du petcare, ils sont facilement duplicables pour les autres secteurs. Quelques exemples en France :

  • Le Groupe Mars offre à ses 800 salarié·es de la section « petcare » et « alimentation » un jour off s’ils adoptent un chien ou un chat et un jour de congé rémunéré en cas de décès.
  • SantéVet, entreprise française spécialisée dans l’assurance santé des animaux, accorde à ses 375 salarié·es deux jours de congé pour l’accueil d’un animal et un jour de congé rémunéré en cas de décès.
  • Wamiz (Nestlé), un média consacré aux animaux de compagnie, offre une journée de congé en cas de décès d’un chien, chat ou lapin et 3 jours de congés payés en cas de maladie. 

Nul doute que la généralisation de ce dispositif s’inscrira un jour dans le droit : en octobre 2024, le conseil municipal de New York a présenté un projet de loi visant à permettre aux employé·es d’utiliser leur congé maladie (Earned Safe and Sick Time Act) afin de s’occuper de leurs animaux de compagnie ou d’assistance. Si adopté, New York deviendrait l’une des premières grandes villes américaines à légalement permettre aux travailleurs de prendre un congé payé pour s’occuper de leurs animaux.

Autoriser les chiens sur le lieu de travail

Répandu aux États-Unis, le mouvement “Pets at Work” permet aux salarié·es de venir sur leur lieu de travail accompagné·es de leur chien. Il existe même une journée dédiée en juin de chaque année : le « Take Your Dog to Work Day ». La pratique gagne les entreprises françaises, notamment dans les secteurs technologiques et les startups. 9 % des français·es ont un employeur qui autorise la présence des chiens au bureau 3. Parmi eux :

  • Guilbert Propreté, une entreprise du secteur du nettoyage industriel basée en Île-de-France qui compte 2 900 employé·es. Le siège social accueille depuis toujours les compagnons animaux.
  • SantéVet a élaboré depuis plus de 10 ans une charte du « vivre ensemble » concernant l’accueil des chiens dans ses bureaux.
  • Dentsu, multinationale japonaise de communication, a officiellement adopté une politique dog-friendly en France en 2022.

Même les villes s’y mettent : Suresnes est la première à avoir autorisé l’accueil d’animaux au bureau pour ses agents, après avoir signé un accord en ce sens en 2020 4.

Pourtant, même si 62% des salarié·es seraient intéressé·es pour amener toutou sur leur lieu de travail 5, la décision n’est pas si simple à prendre. Tout le monde n’aime pas les chiens. Certain·es en ont peur, alors que d’autre sont allergiques, ou simplement dérangé·es par leur présence.

Pour éviter les écueils, vous pouvez vous inspirer du processus démocratique mis en place par la société à mission Dentsu ou lancer un programme pilote comme chez King & Spalding LLP.

Si le retour d’expérience des entreprises semble largement positif pour les humain·es, nous voyons toutefois deux points de vigilance pour le bien-être des chiens.

Si certains sont ravis de passer du temps dans un bureau, ce changement sera pour d’autres une source de stress ou de contrainte supplémentaire. Ce n’est donc pas une solution qui convient à tous, notamment les chiens malades, âgés ou peu sociables. Le lieu doit être adapté à leurs besoins physiques, sécurisé et accueillant.

Nous pensons aussi que la généralisation de ce dispositif peut entraîner un effet boomerang en incitant à l’adoption, alors que toutes les conditions ne sont pas réunies dans la vie de l’adoptant pour prendre soin d’un animal. Quant aux futurs employeurs, seront-ils enclins à adopter la même politique ?

Il nous semble donc absolument nécessaire d’accompagner tout dispositif d’inclusion des animaux par une sensibilisation des salarié·es aux besoins différenciés des chiens et à l’investissement que leur accueil implique. Un guide de bonnes pratiques peut être proposé par l’entreprise à cet effet.

Last but not least, les bénéfices du pet at work sont aussi partagés par la communauté humaine. Et c’est prouvé. Plusieurs études confirment que la présence des chiens sur les lieux de travail augmente le niveau de bien-être humain. Cela se traduit entre autres par une meilleure communication, un niveau de stress moins élevé, plus de créativité et de satisfaction dans le travail.


Pour conclure en activant notre esprit critique, on pourrait se dire que l’inclusivité des animaux “de compagnie” n’est pas une priorité face aux atteintes à l’intégrité des animaux d’élevage par les acteurs économiques. Nous pourrions penser qu’il s’agit d’un gadget face aux vrais enjeux de la cause animale. Nous pourrions aussi considérer qu’il est inadéquat de communiquer sur ce sujet, tout en continuant à exploiter d’autres animaux dans le cadre de ses activités.

Ce n’est pas notre avis.

Nous pensons qu’agir pour éviter et réduire la souffrance des animaux d’élevage engendrée par les activités économiques n’est pas incompatible avec une meilleure prise en compte des animaux qui partagent nos vies. Nous pensons qu’il n’est pas anecdotique de commencer à considérer certains animaux comme des membres de notre communauté et de reconnaître la force des liens qui nous unissent. Nous pensons aussi qu’offrir et augmenter les possibilités d’interactions positives entre les humains et les autres animaux permettent de renforcer la perception d’une communauté inter-espèce.

Enfin, nous sommes convaincues que toute avancée permettant de visibiliser leurs besoins, leur unicité, leur sentience est un pas de plus vers eux, quelle que soit l’espèce à laquelle ils appartiennent. L’entreprise, par ses lieux de vie implantés partout, représente un espace au sein duquel il est possible d’expérimenter de nouvelles relations. Notre prochain décryptage traitera d’ailleurs de la présence des animaux dans l’espace public et du rôle que peuvent jouer les entreprises afin de mieux les intégrer dans ces espaces communs, d’où ils sont, pour la plupart d’entre eux, encore totalement exclus.


  1. Sondage IPSOS, juin 2023 : Le bien-être des animaux et la responsabilisation des possesseurs d’animaux. ↩︎
  2. Enquête réalisée par Wamiz et Esthima auprès de 3846 propriétaires de chiens et/ou de chats sur l’ensemble du territoire français (du 14 au 21 septembre 2020). ↩︎
  3. Baromètre « Les français et le chien » 2024 réalisé par l’institut de sondage CSA pour le compte de la Centrale canine ↩︎
  4. Accord relatif à l’accueil des animaux domestiques au bureau, Savoir Animal, janvier 2024 ↩︎
  5. Sondage IPSOS, juin 2023 : Le bien-être des animaux et la responsabilisation des possesseurs d’animaux. ↩︎

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